Ce recueil s'ouvre sur le poème bilingue « Cimmérie » (pp. 23-25), dont on ne peut pas dire qu'il s'intègre véritablement au cycle, mais est néanmoins utile pour saisir la genèse de la création du Monde Hyborien.
On aborde véritablement le cycle avec la première histoire de Conan écrite et publiée, à savoir « Le Phénix sur l'Epée » (pp. 27-57 ; version rejetée par Weird Tales pp. 457-485). Conan est alors roi d'Aquilonie, ayant renversé et tué son prédécesseur, et doit faire face à un complot mené par des aristocrates mécontents ; la plus grande menace, pourtant, ne vient pas de ces puissants barons, mais d'un esclave stygien, Thot-Amon de l'anneau... Le personnage de Conan n'est pas encore clairement défini, et, dans sa version vieillissante, c'est surtout un ancien barbare nostalgique de ses jeunes années que l'on rencontre. L'influence lovecraftienne est assez nette, même si le fantastique, bien « réel », se voit relativiser par une pirouette finale pas forcément nécessaire.
Il en va de même pour « La Fille du Géant du Gel » (pp. 57-67), court récit mythologique d'un intérêt assez mineur à mon goût... Un point intéressant, ceci dit : Conan, ici mercenaire, y succombe à une pulsion érotique qui aurait été fatale à tout autre que lui ; et c'est sans doute ce côté charnel et guère héroïque qui explique avant tout le refus de cette nouvelle...
Troisième texte : « Le Dieu dans le Sarcophage » (pp. 69-91). Un récit qui détonne quelque peu dans la série des Conan, puisque prenant la forme d'une enquête policière assez verbeuse et très « whodunit » ; Conan, qui est cette fois un voleur, n'y joue finalement qu'un rôle assez secondaire, et l'action passe au second plan.
Les choses s'améliorent par la suite : en effet, après ces trois textes inauguraux, Howard a pris le temps de définir davantage le Monde Hyborien et son personnage, et les textes ultérieurs s'en ressentent. Ainsi, immédiatement, avec « La Tour de l'Eléphant » (pp. 93-120) : Conan y est à nouveau un voleur, qui se lance impulsivement et avec une audace incroyable dans le cambriolage de la fameuse Tour de l'Eléphant ; les circonstances du vol ne sont pas sans évoquer celui de l'Oeil du Serpent dans le film de Milius, mais le récit, plus cruel, se teinte également d'horreur lovecraftienne, ainsi que bon nombre de ceux qui vont suivre.
« La Citadelle Ecarlate » (pp. 121-166 ; synopsis pp. 517-518), ensuite, nous ramène au temps du roi Conan ; celui-ci, victime d'une fourberie, a été capturé par ses ennemis, et emprisonné dans les souterrains de la Citadelle Ecarlate du terrifiant mage Tsotha. Sa fuite et sa vengeance épique font tout le sel de ce récit épique aussi riche que divertissant.
On passe ensuite, avec « La Reine de la Côte Noire » (pp. 169-205), à une des plus fameuses aventures de Conan, narrant sa rencontre avec la pirate Bêlit et le début de sa carrière de « corsaire » sous le nom d'Amra, le Lion. Le couple sauvage et cruel formé par Conan et Bêlit est assez unique, et la psychologie du Cimmérien s'approfondit énormément dans ce récit (cf citation ci dessous) ; la fin, une fois de plus très lovecraftienne (mais qui a là aussi inspiré John Milius et Oliver Stone), est pour le moins saisissante.
- Conan a écrit:
- « [...] J'ai connu un grand nombre de dieux. Celui qui nie leur existence est aussi aveugle que celui qui leur fait une trop grande confiance. Je ne cherche pas à savoir ce qu'il y a au-delà de la mort. Ce sont peut-être les ténèbres, comme l'affirment les sceptiques de Némédie, ou bien le royaume de glace et de nuages de Crom, ou encore les plaines enneigées et les salles voûtées du Valhalla des peuples du nord. Je l'ignore et cela m'importe peu. Il me suffit de vivre ma vie intensément ; tant que je peux savourer le jus succulent des viandes rouges et le goût des vins capiteux sur mon palais, tant que je peux jouir de l'étreinte ardente de bras à la blancheur d'albâtre et de la folle exultation de la bataille lorsque les lames bleutées s'enflamment et se teintent d'écarlate, je suis satisfait ! Je laisse aux érudits, prêtres et philosophes le soin de méditer sur les questions de la réalité et de l'illusion. Je sais une chose : si la vie est une chimère, alors moi aussi j'en suis une ; par crétinouséquent l'illusion est réelle pour moi. Je vis, je brûle de l'ardeur de vivre, j'aime, je tue et je suis satisfait. »
« Le Colosse Noir » (pp. 207-250 ; synopsis pp. 519-520), immédiatement après, est à mon avis une des plus grandes réussites de ce volume. Si l'influence de Lovecraft y est encore assez nette, c'est pourtant probablement celle de Sax Rohmer qui domine, ainsi que le montre Patrice Louinet dans sa postface. Récit remarquable, quoi qu'il en soit, où le personnage de Conan n'intervient qu'assez tard, sous les traits d'un mercenaire ivrogne devenu sur le caprice des dieux le chef d'une puissante armée. La longue bataille qui clôt la nouvelle est portée par un souffle épique tétanisant, et les morceaux de bravoure abondent.
« Chimères de Fer dans la Clarté Lunaire » (pp. 253-291), en comparaison, est indéniablement un texte mineur. Pour la première fois, Howard rajoute aux côtés de Conan un personnage féminin aussi accessoire que peu vêtu ("oh Conan j'ai si peur"... "oh Conan, partons d'ici"..."), dont le seul but est bien de lui faire obtenir la couverture du pulp ; et l'histoire est assez confuse, bien que comprenant quelques remarquables scènes horrifiques.
Si « Xuthal La Crépusculaire » (pp. 293-330) poursuit assez clairement dans cette lignée, le résultat est cependant bien plus probant. La ville fantôme de Xuthal, perdue dans le désert, est une belle création, riche en secrets terrifiants, et le lecteur ne s'ennuie pas un seul instant.
Après quoi « Le Bassin de l'Homme Noir » (pp. 333-366) nous ramène au Conan pirate, plus fourbe que jamais, dans une histoire franchement terrifiante et très divertissante.
« La Maison aux Trois Bandits » (pp. 367-394) nous décrit un Conan voleur et assassin, lié par le sort à deux bandits d'une espèce bien différente ; un récit moins épique que les précédents, dans un cadre urbain, mais non moins intéressant.
Ce n'est hélas pas le cas de « La Vallée des Femmes Perdues » (pp. 397-416), texte résolument alimentaire et dont on sent bien qu'il n'avait probablement pas convaincu son auteur. L'histoire n'est guère passionnante, le racolage s'y fait outrancier, et le racisme omniprésent, auquel Howard ne nous avait pourtant pas habitué jusque là, au contraire (contrairement à ce que l'on a souvent prétendu, et que l'on pouvait par contre ressentir chez Lovecraft), achève de rebuter le lecteur. Sans aucun doute le texte le plus faible du recueil.
La sélection de nouvelles s'achève heureusement sur une plus grande réussite, avec « Le Diable d'Airain » (pp. 417-453). Un piège y est tendu à Conan, alors chef de guerre des Kozakis ; mais les ruines de Xapur recèlent bien plus de dangers que ce que ses ennemis supposent. Le cadre horrifique est à nouveau très réussi, et la nouvelle fonctionne remarquablement bien.