Marc Stevens (Laurent Lucas) est un de ces chanteurs
itinérants ringards pour mamies qui anime des galas dans les maisons de
retraite sordides (euphémisme ?) de la Belgique profonde. A la veille
de Noël, il taille la route dans sa camionnette afin d’honorer un
nouveau contrat. Sa camionnette rendant l’âme non loin d’un village
perdu, il est obligé de se réfugier dans l’auberge isolée de Bartel
(Jackie Berroyer), ancien humoriste solitaire, rendu fou par le départ
de sa femme Gloria et dont le comportement va très vite dégénérer...
Le « survival » est un sous-genre cinématographique rare. Ses fleurons
se nomment, entre autres :
The Most Dangerous Game (
Les Chasses du Comte Zaroff, 1932, de Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel), le musclé
Deliverance (
Délivrance, 1972, de John Boorman ), l’éprouvant
The Texas Chainsaw Massacre (
Massacre à la Tronçonneuse, 1974, de Tobe Hooper), le déviant
The Hills Have Eyes (
La Colline a des Yeux, 1977, de Wes Craven ), le très tendu
Southern Comfort (
Sans Retour, 1981, de Walter Hill ) – pour les Américains – et le formidable
La Traque (1975, de Serge Leroy), pour les Français.
Le principe du « survival movie » ? Un personnage
principal traqué par des affreux dans un environnement dangereux,
hostile et étrange. J’en veux pour preuve le riche mégalomane Zaroff,
la sympathique famille cannibale de
Massacre à la Tronçonneuse, les rednecks revanchards de
Délivrance et
Sans Retour ou encore les violeurs bourgeois et sans pitié (Jean-Pierre Marielle et Michael Lonsdale quand même !) de
La Traque.
Popularisé dans les années 70-80 par une poignée de chefs-d’oeuvre,
imité et pillé dans les années 80, le genre tente un timide retour en
force en 2003 avec le ridicule mais marrant
Wrong Turn (
Détour Mortel, de Rob Schmidt ). Une semi réussite qui nous laissait sur notre faim et donc, peu préparés pour la bombe
Calvaire,
sans aucun doute le meilleur film de genre belge de ces dix dernières
années. Avec le film de Du Welz, le genre revient en force et en forme,
animé par une passion communicative et un amour du genre indéfectible.
Tout ça de la part d’un petit belge qui réalise là son premier long ???
Allez une fois ??? Vous en rêviez, Fabrice Du Welz l’a fait...
"Je suis très friand de cinéma déviant, d’horreur,
populaire, épique, burlesque, avec une préférence pour les productions
américaines et asiatiques. Je suis un fanatique de Wong-Kar Wai, comme
de Larry Clark, Peckinpah, Buñuel, Ford, André Delvaux, et tant
d’autres. Pour Calvaire, il y a une œuvre très forte qui m’a accompagné
sur ce film : Massacre à la tronçonneuse". Belle profession de foi que
celle du réalisateur de 33 ans. Des propos rares dans le petit monde du
cinéma belge. Rares mais cependant peu surprenants pour qui se penche
sur le background atypique de ce jeune réalisateur fou et passionné :
de ses émissions cultes sur Canal + (Kulturo, Fabrice fait son cinéma,
c’était lui !) en passant par ses films en Super 8 et un court métrage
mémorable,
Quand on est amoureux c’est merveilleux qui recelait déjà les germes de
Calvaireet dans lequel la cinéphilie galopante et le goût du cinéma déviant,
fun et décomplexé étaient déjà bien présents, tout le parcours de Du
Welz semblait le destiner à
Calvaire.
Après tout, le personnage de Jackie Berroyer ne
s’appelle-t-il pas ici Paul Bartel ? Peu connu dans nos contrées, le
cinéaste éponyme, iconoclaste new-yorkais décédé en 2000 aura créé une
oeuvre au mauvais goût assumé et à la drôlerie pittoresque que peu de
réalisateurs américains semblent apprécier. On se souviendra, entre
autres, d’oeuvres aussi
diverses que
Death Race 2000 (
Les Seigneurs de la Route, 1975) et
Eating Raoul(1982). Un bel hommage que lui rend ici Fabrice Du Welz en donnant son
nom à son personnage principal. En ce qui concerne le projet d’un
premier long, le tout était d’en faire une oeuvre dans laquelle toutes
ces influences diverses et avouées étaient bien digérées et non pas un
patchwork décousu comme avait pu le faire Christophe Gans avec son
Pacte des Loups qui mêlait dans un bazar jouissif certes mais très décousu film de monstre, film de karaté et film historique.
Calvaire n’est rien de tout ça.
Brillant et cohérent de bout en bout, magnifié par la superbe photo de
Benoît Debie (collaborateur de Gaspar Noé et Dario Argento,
entre autres), Du Welz célèbre son amour du cinéma de genre avec sa
tête, ses tripes et ses c.... Script en béton armé, originalité du
traitement, réalisation au diapason, plans épurés de toutes beauté...
Rares sont les films de genre francophones actuels qui arrivent à créer
un tel malaise. Comme Marc Stevens lui-même, le pauvre spectateur sans
défense est malmené, assailli, torturé pendant 1h28 et sera pris d’une
furieuse envie de prendre une douche dès le film terminé. Le malaise
latent est créé par le fait que Calvaire, aussi brutal, sanglant et
barbare soit-il, raconte avant tout une histoire d’amour désespérée :
celle de Bartel et de sa femme Gloria, « réincarnée » dans le
personnage de Marc Stevens. Ainsi, la violence et la lourdeur ne sont
jamais gratuites : tout est là pour servir l’action et accompagner le
malheureux Marc dans son chemin de croix. Toutes ces composantes
forment un tout cohérent car
Calvaire s’avère d’une intégrité exemplaire dans ses choix de mise en scène.
Les deux interprètes principaux participent également à
la grande réussite du projet : Laurent Lucas, pathétique et fragile,
mais surtout Jackie Berroyer. Totalement hanté par son rôle, entre joie
et nostalgie, entre solitude et détresse, il compose un personnage
d’une complexité ambiguë, une âme en peine, véritable bombe à
retardement à qui il ne faut qu’une étincelle pour exploser.
L’étincelle sera l’arrivée de Marc Stevens. Du Welz avoue avoir essayé
de concentrer l’empathie du spectateur pour le bourreau et de ne pas en
avoir fait un monstre sans âme comme on le voit trop souvent au cinéma
américain.
Le reste du casting se compose d’un réjouissant défilé
de « tronches » torturées et patibulaires (« mais presque », comme
disait Coluche) qui rend ses lettres de noblesse à la folie au cinéma :
Philippe Nahon (que l’on ne présente plus), Joe Prestia (le violeur d’
Irréversible), Jean-Luc Couchard (
Grégoire Moulin contre l’Humanité)
et la fabuleuse Brigitte Lahaie, meilleure actrice française des années
70, égérie de José Bénazéraf et de Jean Rollin dont la filmographie
aura procuré à l’auteur de ces lignes bien des émois au cours de sa
jeunesse tourmentée. Le genre d’émois dont les draps se souviennent.
Calvaire regorge d’images
inoubliables : la crucifixion de Marc Stevens, sa tonte sadique et
violente, l’apparition inopinée de nains dans la forêt, une scène de
bistrot rendant hommage à
Un Soir, un Train, les
moeurs zoophiles d’autochtones cinglés... Voilà un film qui regorge
d’images dont il est difficile de se débarrasser après la vision.
Calvaire est un film qui hante l’esprit. A la première vision, la
conclusion du film peut pourtant paraître légèrement frustrante et un
peu vite expédiée. Une affirmation qu’une deuxième vision vient
contredire car le manque de suspense dans la séquence finale est
délibérée de la part du réalisateur qui préfère éviter la surenchère et
terminer son film d’une façon finalement
logique.
C’est là une des forces de plus de ce film incroyable : frustrer les
spectateurs lorsqu’il se termine. Tout simplement parce qu’il est
tellement bon qu’on a envie qu’il dure 3h...
Calvaire est un film qui s’améliore à la seconde vision. Bel exploit ! Merci Fabrice !
Rendons hommage enfin au producteur des deux films de
Fabrice Du Welz, le courageux Vincent Tavier , bien connu pour avoir
écrit un certain C’est arrivé près de chez vous et produit Aaltra. Un
homme de goût assurément.
Quand vous aurez vu Calvaire, revoyez Délivrance ! Revoyez Massacre à la Tronçonneuse et les films de Lucio Fulci. Revoyez Hitchcock
et André Delvaux. Revoyez la filmographie complète de Brigitte
Lahaie... Et attendez comme moi avec impatience que Fabrice nous
revienne en forme avec son Vinyan qui sera à coup sur aussi beau, jouissif et de bon goût que ce monument du film déviant. Le cinéma belge en a besoin.Fabrice Du Welz ? Numéro un au hit parade de nos amours…