Conçue et principalement réalisée par Lars Von Trier au milieu des années 90, alors encore auréolé du succès (notamment à Cannes) des trois opus de sa saga
Europa,
Riget est souvent vue comme la réponse danoise au fameux
Twin Peaks du Monsieur bizarrement coiffé dans ma photo de profil.
Si la série possède évidemment quelques points communs, déjà de par la rareté à l'époque de voir des cinéastes passer au médium télévisuel, mais également de par sa multitude de personnages et donc de sous-intrigues, toutes bercées dans une ambiance schizophrène oscillant entre terreur et absurde, noirceur et tendresse,
L'Hôpital et ses Fantômes s'avère pourtant être une aventure télévisuelle bien plus mouvementée et iconoclaste que sa « grande sœur ».
Afin de nous intéresser à ce microcosme hors du commun, ce temple du bien et du mal qu'est le bien nommé
« Hôpital du Royaume », Von Trier accumulera les ruptures de tons, aussi bien scénaristiques que visuelles, déjà toutes préfigurées au sein du générique ci-dessus (ou un avertissement digne d'une malédiction se voit suivie d'un générique 90's pas si éloigné de celui d'
Urgences, la bande-son martiale en plus).
Ainsi,
Riget se présente en trois tons distincts, chacun pouvant débarquer sans crier gare à la moindre coupe, grâce à un découpage barbare mais instinctif qui n'est pas sans évoquer certaines des règles du Dogme95, alors en gestation. Ce découpage, qui alterne scènes d'hôpital tournées caméra à l'épaule et montées en jump-cut, séquences fantastiques au temps dilaté tout en plans fixes nichés dans tous les angles possibles (principalement en plongée, mettant ainsi de pair le spectateur avec les esprits qui côtoient la série) et images chocs quasi-subliminales, permet de donner une cohérence à ce bazar sans nom qu'est Le Royaume. L'hôpital et la série, donc.
Ainsi, selon les protagonistes que nous suivons, la série s'illustre dans un mélange des genres à la fois troublant et réjouissant : le parcours de Mme Drusse, fausse patiente mais passionnée d'occultisme qui cherche à entrer en contact avec les esprits qui hantent les lieux, donne lieu à des séquences de terreur fascinantes (portées également par un sound design absolument dingue) tandis qu'à l'opposé, celui de Stig Helmer, médecin suédois condamné à exercer au Danemark suite à une faute professionnelle, donne lieu à des séquences de comédie noire et absurde à pleurer de rire, Von Trier et Arnfred n'hésitant même pas à rendre hommage à certains gags visuels si chers aux ZAZ.
Le seul lien entre ces deux tons se trouve en la présence de deux plongeurs de cuisine, handicapés mentaux mais véritables oracles omniscients de cette tragicomédie permanente (et qui - mise en abyme oblige - semblent également conscients de ces ruptures de tons). Leursparoles semblent être pour le spectateur la seule façon d'appréhender et d'assimiler tout ce capharnaüm, ainsi que d'y trouver les clés.
Entre ces trois pôles se trouvent à la fois l'ensemble, voire le nuancier, des personnages secondaires et de leurs personnalités (un jeune interne prêt à décapiter le corps d'un sosie pour prouver son amour à une femme plus âgée, un médecin qui se greffe lui-même une maladie incurable afin de pouvoir l'étudier, un médecin dur comme fer mais juste qui s'amuse à détourner les ressources de l'hôpital, dont le directeur est une sorte de Leslie Nielsen incapable, etc...) et l'équilibre parfait de la série, confirmant son statut d’œuvre singulière qui ne pouvait forcément qu'être amenée à être considérée « culte ».
Le seul point commun valable avec
Twin Peaks, du moins jusqu'à l'année dernière, était cette terrible absence de conclusion au bout d'une seconde saison encore plus folle et terrifiante que la première, qui laissait pourtant augurer d'un cataclysme à venir foutrement réjouissant.
Le décès de trois des protagonistes de la série en a décidé autrement... Le Royaume n'a donc jamais véritablement fermé ses portes, ni ne s'est jamais vraiment débarrassée de ses démons, étant elle aussi condamnée à errer sans trouver ni repos, ni réponses.
Donc, matez d'urgence si ce n'est déjà fait. Je pense qu'il y a moyen que ça plaise à pas mal d'entre vous (il suffit de passer au delà de l'aspect brut de la série au premier abord).
Puis vous ne verrez plus jamais ce bon vieux Udo Kier de la même façon.
Et si jamais vous connaissez des articles, exégèses ou ouvrages dédiés à la série, je suis preneur. Le résumé ci-dessus est évidemment grossier, mais je suis persuadé qu'il y aurait beaucoup à dire sur cette série.
Allez, je me la rematerais bien assez vite.